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Chloé Balta

CAPITALISER SUR LA PAUVRETÉ 3/3




En Italie, la contrefaçon prospère sur la misère humaine et les failles régulatoires, alimentant une économie souterraine exposant les consommateurs à des risques sanitaires graves. Malgré les efforts législatifs italiens pour défendre le « Made in Italy », le poids des mafias, l'exploitation des migrants et l’inertie européenne perpétuent ce système de production à bas coûts — dont l’impact se retrouve jusque dans nos placards.

Jouets, nourritures, vêtements : baisser la qualité, mais à quel prix ?

Outre les conséquences sur la santé économique, c’est bien la santé du consommateur qui est affectée par le trafic des produits contrefaits. Pour réduire les coûts, seuls deux leviers sont actionnables : baisser les salaires, ou baisser la qualité. La contrefaçon, en général, implique les deux. Pour baisser la qualité, on banalise le recours à la contrefaçon « Made inChina », mais cela entraîne des risques sérieux pour la santé. Des particules de plastique ont été retrouvées dans des fœtus. Et si la législation européenne REACH règlemente et interdit l’usage des produits chimiques les plus nocifs dans la production textile — y compris aux pays qui voudraient accéder au marché intérieur —, dans la pratique, les douanes ou les autorités de surveillance des marchés ont d’autres priorités. Or, les Européens importent l’essentiel des produits textiles qu’ils portent au quotidien des pays d’Asie du Sud, où les règlements ne sont pas nécessairement connus et encore moins respectés. Dès lors, le risque sanitaire est partagé, autant par les consommateurs que par les travailleurs en bout de chaîne qui confectionnent ces vêtements sans équipements de protection adéquats ni connaissance de la dangerosité des substances qu’ils manipulent. Les mêmes préoccupations surgissent dans la fabrication de jouets et de jeux, souvent composés de matériaux dérivés du plastique, que les jeunes enfants ont tendance à porter à leur bouche. Ces produits contrefaits posent des problèmes graves pour la santé et la sécurité publique.

 

Les petites mains de la contrefaçon

Mais qui sont ces travailleurs qui confectionnent les produits contrefaits ? Rendre la marque accessible implique une réduction des coûts passant aussi par la baisse des salaires. Pour y parvenir, les produits contrefaits sont largement importés de Chine, Turquie et Hong Kong. Mais une partie de la contrefaçon est fabriquée en Italie, chapeautée minutieusement par les mafias locales et étrangères qui s’assurent de l’exploitation à moindres coûts des travailleurs. Quoi de mieux que le « caporalato » (travail forcé) et l’exploitation d’immigrés, comme en témoigne l’Odyssée d’Abdoul, pour y trouver une main-d’œuvre malléable et esclave de la production ? Dans les usines d’étiquettes de Prato rachetées par les entrepreneurs chinois, des rotations permettent à la machine à coudre de fonctionner nuit et jour, une cadence mortelle payée 3 euros de l’heure pour une dizaine d’heures travaillées par jour, sous des contrats à temps partiel factices. L’idéal de l’artisanat local italien s’effondre. Il est maintenant remplacé par un atelier de broderie, où les ouvriers cousent des étiquettes « Made in Italy » produites dans la région, pour insuffler une identité italienne au « Made in China ».

 

Un système sous cloche

Alors, comment lutter ? Embourbée dans un maillage de mafias, la contrefaçon faitaussi (sur)vivre les travailleurs les plus pauvres, souvent migrants subsahariens ou originairesd’Asie du Sud Est. Elle s’inscrit dans un large réseau de transports maritimes commeterrestres, transportant les marchandises aussi bien que les migrants, d’une rive à l’autre de laMéditerranée, de bateaux gonflables en Flixbus, de Gatrone à Prato. D’autres routes sontaussi empruntées par les migrants pour atteindre l’Italie, passant par le Pakistan etBangladesh, pour rejoindre l’Afghanistan, le Moyen-Orient, et enfin les portes de l’Europe.

L’Italie est la terre fertile de la contrefaçon. Devenue un lieu de passage pour les exilés en Méditerranée centrale, la péninsule peine à l’endiguer et à réglementer, car le problème nécessite bien un dialogue à l’échelle mondiale alors que les politiques se renvoient sans cesse la responsabilité des migrations. Dépassée, l’Union européenne cautionne malgré elle le trafic de contrefaçon, s’inscrivant en apparence parmi le moins « mauvais » des crimesorganisés. De plus, bien que conscientes de l’existence d’imitations, les marques nes’inscrivent pas dans une lutte réelle contre celles-ci, ce qui soulève la question des intérêtsde l’industrie du luxe : la diffusion de contrefaçons, affichant des formes et des logos,pourrait-elle constituer une forme de publicité déguisée ? Ne maintient-elle pas sur le longterme et quotidiennement la désirabilité du consommateur ?

C’est finalement dans nos placards que finissent les contrefaçons, le consommateurétant la première victime du manque d’action politique et de l’échec des négociationsmondiales sur l’endiguement de la contrefaçon. Le manque de coordination de différentsacteurs en matière de réglementation entraîne une dette à retardement, qui se paiera dans lefutur par des problèmes sanitaires de santé publique. Pour l’heure, le gouvernement italientente d’impulser à travers la loi Made In Italy des techniques de traçabilité des produits, maistous les chemins ne mènent pas à Rome…

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