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Chloé Balta

LA CONTREFAÇON EN ITALIE, BILAN 2024 1/3




ARTICLE 1 - La péninsule italienne : terre de contrefaçons ?


En 2022, 86 millions de contrefaçons ont été saisies dans l’Union européenne, représentant plus de 2 milliards d’euros[1]. L’Italie représentait plus de la moitié du nombre total d’articles de contrefaçon et plus de 33% en termes de valeur estimée. Mais l’histoire de la contraffazione, cette action d’imiter ou de reproduire illégalement, est plus ancienne[2].


L’Italie médaille d’or de la contrefaçon

L’Italie reste solidement en tête du classement des saisies de contrefaçon, depuis 2008, devant la France, la Bulgarie, les Pays-Bas, l’Espagne et la Hongrie[3]. Pour quelles raisons l’Italie se hisse-t-elle à la première place des contrefaçons saisies ? La chambre de commerce de Toscane répond : « La présence d’un pôle de production d’excellence dans le secteur de la maroquinerie a alimenté un vaste marché parallèle de production et commercialisation imitant les modèles originaux en s’appuyant sur le savoir-faire acquis par les sous-traitants des maisons de haute couture »[4]. La contrefaçon semble une pratique ancrée dans l’histoire italienne depuis plusieurs siècles.

 

Une vieille histoire de l’Inde à Naples

Au XVIIIe siècle, à Naples, comme dans le reste de l’Europe, ce sont les indiennes importées par la Compagnie des Indes qui fascinent pour leurs couleurs chatoyantes et leur prix[5]. Pour répondre à la demande croissante du marché européen, les artisans locaux imitent déjà ces produits, puis le motif cachemire[6]. Le but est de réduire les coûts.

Deux siècles plus tard, les mêmes objectifs poussent à l’imitation : le boom de la contrefaçon dans le prêt-à-porter se poursuit dans les années 1980-2000, alors que Milan s’est imposé comme un centre mondial de la mode de luxe, notamment incarné par des créateurs comme Giorgio Armani et Gianni Versace[7]. La demande croissante incite à la contrefaçon, et des circuits mondiaux se développent entre l’Italie, l’Europe de l’Est et l’Asie, alimentant un marché parallèle qui génère des millions d’euros de revenus illicites.

 

Du trafiquant local au trafic mondial

La contrefaçon est un délit économique très attrayant pour le crime organisé : profits élevés, risques faibles comparés à la vente de drogue ; la Camorra de Campanie l’a bien compris. Mais elle n’a pas l’exclusivité du marché : les groupes criminels chinois et africains ont eux aussi infiltré ces réseaux juteux. Le gâteau est alors partagé entre les mafias selon un système gagnant-gagnant, que décrit l’historienne de la mode Audrey Millet : « Les Wenzhou rémunèrent des tailleurs et maroquiniers italiens pour qu’ils leur apprennent la fabrication des sacs et vêtements, ensuite reproduite en Chine. (…) et les clans mafieux italiens se réjouissent de revendre des contrefaçons de qualité ». Le marché de la contrefaçon bénéficiant du manque d’homogénéité des politiques italiennes, les mafias ont ainsi pignon sur rue pour étendre leur activité, avec des centres de distribution jusque sur Park Avenue à New York, dans des magasins où les vrais sacs côtoient les faux[8].

 

Dans la seconde moitié du XXe siècle, la contrefaçon en Italie acquiert une dimension internationale, complexifiant le contrôle et le démantèlement des réseaux pour les autorités locales et européennes : incapables de détecter les contrefaçons, les douaniers sont débordés par les volumes des porte-conteneurs des ports napolitains, génois et livournais. Les ports agissent ainsi comme des passoires laissant s’infiltrer dans l’économie italienne un réseau de produits contrefaits bien tissé.




[2] “86 millions d’articles de contrefaçon d’une valeur de plus de 2 milliards d’EUR retenus dans l’UE en 2022”, EUIPO (European Union Intellectual Property Office) - chiffres

[4] ZANGHERIElena (dir.), Illegalità e criminalità organizzata nell’economia della Toscana, rapport 2023 pour l’IRPET (Istituto Regionale per la Programmazione Economica Toscana), p.90

[5] FERRAND Jean Luc, « Les indiennes : Mezzari italiens et Toiles de Jouy françaises », Jean Luc Ferrand, 22/12/2018 https://www.jeanlucferrand.com/les-indiennes-mezzari-italiens-et-toiles-de-jouy-francaises/

[6] GIANO Anna Maria, “Tissu Paisley, l’histoire de l’imprimé avec un design cachemire”, Vogue Italia, 26/12/2020 https://www.vogue.it/moda/article/stampa-paisley-disegno-cashmere-storia-origine-etro-foto

[7] WHITE Nicola, Reconstructing Italian Fashion: America and the Development of the Italian Fashion industry, Berg, 2000

[8] MILLET Audrey, L’Odyssée d’Abdoul : enquête sur le crime organisé, Les Pérégrines, 2024, p.184

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